Notre sang, ma chère
C'est marrant, ces gens qui vous suggèrent d’écrire des histoires de vampires. Quelle idée ! Pourquoi moi ?
Pourquoi pas un mélange de vécu, de fiction, de fantasmes, qui pourraient devenir lyriques et vampiriques. Qui pourraient. Comme je suis joueuse, que cette question se répétait (cf. "pré-lyrique"), elle me mit très vite quelques idées en tête sur une forme de réponse. Allons-y sur un mode lyrique et vampirique, me lançai-je comme une pique :-)
Un vampire, ou une goule, on ne va pas s’embêter avec ces détails.
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La terre promise, c’est une Rencontre.
Durant toutes ces années, j’avais gagné sur cet espace entre nous. Ce temps avait perdu nos fraîcheurs, mais avait rapporté nos cœurs magnifiques.
J’ai mangé le corps de l’espace, j’ai bu le sang du temps. Tu ne connaissais que les coups, des larmes sèches, des larmes de moussons. J’ai léché ces eaux, j’ai vu ta gorge bouger, déglutir, avec prudence, doucement. Je me souviens quand tes yeux se sont levés, j’ai vu tes perles nouvelles, tes saphirs mouillés que ton humilité embellissait encore. Tu t’es lovée comme un animal qui sait qu’il n’a rien à craindre, qu’il n’y a ni domination, ni soumission.
Habituée à tes seigneurs accablants, tu t'étonnais que je ne te fasse pas de sermon, que je ne corrige rien en toi. Je ne comprenais pas ce qui te manquait, toi qui contrariais dans mon regard toutes les impossibilités. Il ne t’apparaissait pas que l’on rampait, qu’il n’y avait pas d’élévation, mais nos deux directions, ensemble. Notre demeure était l'obscurité, la seule où nous possédions la vue, dans notre obsession mutuelle, magnétique. On l’a certainement suggéré x fois mais il manque un “i” au mot amant.
Maîtresse, confidente, mère, père, gourou, le secours et l’amour, le plaisir sans la souffrance, une délectation que je te devais, sur ta peau de graine blanche, tendue, si douce. Mes mots d’orge, les appelais-tu, d'or et de bière, nos mains glissant sur la paume ouverte du désir, dans l'odeur des alcools. Je te dévorais, ta vie s'en portait de plus belle.
Puis il y eut ces mélanges et ces confusions de libertés, ces succions mordantes, ces menus blafards de pensées carnivores. Les pensées, c'était bien différent. J’ai essayé de ne pas regarder quand j’avais le vertige de ce que nous creusions.
Nous étions-nous trop insupportablement indispensables pour que l'une ne tuât l'autre ?
Nous interchangions nos places. Et puis toi, toi d'abord, toi par-dessus tout.
J’étais l’amuse-gueule, ou l'une de ces liqueurs qui finissent le repas, engourdissent les doutes, adoucissent les relents d’amertume que laissaient les ingrats définitifs qui te tenaient tête, toi qui avait pris de l’assurance à force d’être tant aimée. Tu te rinçais les dents dans ce goût liquide, penchait la tête en arrière avec volupté, quelques secondes. Je t'admirais, dans ta verticalité, cachée derrière ton sourire, mais frissonnais de cette froideur qui m’était inconnue. Tu aimais ce que je te donnais à voir. Ce portrait, j'y croyais probablement plus que toi, puisque tu en avais un besoin si constant, si dévorant ? Je ne sais maintenant si je l’embellissais. Toi, tes contradictions et tes excès, toi qui un jour me parla si fort des miens.
Il n’y a plus 36 solutions quand le déclin menace ; garder sa naïveté pour arme, ne pas sortir du somme. Ou mourir. Pour moi, c’était acté depuis longtemps. Tu étais le plus beau reflet de la vie telle qu'on l'entend, celle qui me manquait, mais que je hantais de ma malédiction. Tu étais le seul reflet que je ne fuyais jamais, celui qui s'insinuait en moi qui l'avait perdu. A nous deux, nous formions une émanation ressemblant à une vie.
Ensuite, tu as su tourner les pages et mettre l’auteur au feu. J'aurais pu te tuer, comme les autres. J’adorais te protéger, me sentir meilleure, tu attirais cela. Ne plus en être capable fut aussi déchirant. Je ne voulais rien contrôler, mais m'illusionnais de t’entourer à moi seule. Personne n'avait été capable, de mon vivant ou de ma mort frauduleuse, d'opérer en moi une métamorphose de ce que je ne connaissais pas de moi. Qui d'autre que toi, qui m'entourais à toi seule ?
Je me suis sentie frustrée, puis en furie de me sentir durcir, avant d'abattre mon âme.
Alors, à quand remontait le premier jour où nous nous sommes devenues dangereuses ? Est-ce toi qui a tout décidé ? L’as-tu senti ? Je l’ignore.
Mes ailes à moi battaient, prises dans tes mains et mes larmes.
J’ai parfois des cauchemars où j’attire ta tête penchée, au-dessus de ta liqueur. Après ces mots, je t’embrasserai là où le cou palpite de ton cœur nouveau, ton cœur dénervé, te rendrai éternelle avant de te laisser. De ça aussi je m’étais empêchée, avec plaisir.
Tu ouvriras les yeux, mais comprendras après les nuits que sont l’éternité, le mythe de ce qu’est la jeunesse quand elle est trop longue et la rage que donne l’ennui et ces visages qui se répètent, celle de rester, rester. Tu comprendras que toute fin a un sens, lourd de fait. Que l’amour plein ne se trouve pas si souvent.
Je ne sais pas dire adieu.
Tout a été dit sur le sujet. Et pourtant, la mort est toujours nouvelle. Et peut-être tant mieux.
Corine Caporlan
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